Programme Scientifique
Bien que les thérapies antirétroviraux (ART) réussissent à réduire le taux de mortalité chez les personnes infectées par le VIH, ce traitement ne guéri pas ces personnes du VIH/SIDA. L’échec de l’éradication du VIH au cours du traitement antirétroviral découle de la capacité du virus à persister dans le corps dans de nombreux types de cellules et de tissus. Sans un traitement maintenu à vie, le virus rebondit rapidement, ce qui entraîne une morbidité et une mortalité accélérées. La forme de persistance virale la plus couramment étudiée se trouve dans les cellules T CD4 + mémoires, qui hébergent le virus hors de la portée des médicaments ou du système immunitaire. Cependant, des données indiquent que d'autres cellules, à durée de vie plus longue, les cellules myéloïdes, pourraient aussi contribuer à la persistance du VIH. Les cellules qui permettent la persistance du virus sont appelées réservoirs viraux (RV) et représentent le principal obstacle à la guérison du VIH. Bien que nous connaissons déjà beaucoup sur la persistance du VIH, il reste encore plusieurs importants éléments à identifier, comme la source du VIH persistant, les mécanismes sous-jacents à l'établissement et à la persistance des RV, en particulier dans les cellules T4 CD4 + mémoires, et les moyens de les éliminer. Canadian HIV Cure Enterprise 2.0 (CanCURE 2.0) est une équipe de chercheurs canadiens de premier plan dans le domaine du VIH qui poursuit un programme de recherche intégré et novateur, éclairé par les nouvelles connaissances d’études de terrain et les nouvelles découvertes générées par CanCURE 1.0 (2014-2019). Ce projet de collaboration associe les efforts de scientifiques canadiens éminents et de membres qui représentent le point de vue des personnes vivant avec le VIH. Le programme scientifique repose sur trois thèmes de recherche complémentaires.
● Le thème 1 vise à découvrir les mécanismes par lesquels des antigènes spécifiques, ainsi que des cellules présentatrices d'antigène de la lignée myéloïde, amènent à l'établissement et à la persistance du RV dans les cellules T4 CD4 + mémoires.
● Le thème 2 vise à définir la contribution directe des cellules myéloïdes tissulaires, auto-régénérantes et à vie longue, à la persistance du VIH / SIV pendant le traitement antirétroviral.
● Le thème 3 vise à développer davantage les interventions thérapeutiques innovatrices de CanCURE 1.0 qui ciblent le RV dans les cellules T4 CD4 + et les cellules myéloïdes, notamment les macrophages, et traduisent de nouvelles découvertes en stratégies thérapeutiques.
De plus, les plateformes de recherche CanCURE 2.0 soutiennent l’équipe en utilisant des modèles animaux pertinents (plateforme de modèles animaux) et des plateformes cliniques. Les interactions entre les unités de recherche thématiques et les plateformes créent une approche multidisciplinaire qui oriente la science vers notre objectif de générer des interventions thérapeutiques efficaces contre la persistance du VIH chez les personnes sous traitement antirétroviral.
Thème 1
Plateforme de modèles animaux
Les modèles animaux développent et utilisent des modèles animaux pour tester des approches thérapeutiques contre les réservoirs de VIH qui persistent au cours du traitement antirétroviral (ART). L’équipe tire parti des modèles primates et de souris humanisées, respectivement infectés par le virus de l’immunodéficience simienne (SIV) ou le VIH.
Plateforme clinique
La plateforme clinique donne accès à des échantillons cliniques et offre de solides compétences en matière de gestion, d’analyse et de biostatistique grâce au partenariat de CanCURE avec le Réseau canadien pour les essais VIH des IRSC (le Réseau).
Thème 1
Codirigeants: N. Chomont & T. Murooka
Participants: P. Ancuta, M.J. Tremblay, M. Ostrowski, A. Kumar, E.A. Cohen, K. Fowke, L. Falcone.
Collaboratrice: M. A. Klein
Bien que la contribution directe des cellules myéloïdes (qui ont une longue durée de vie), à la persistance du VIH lors de traitements antirétroviraux reste un sujet de recherche actuel et à approfondir (à explorer dans le Thème 2), il est bien établi que le VIH persiste principalement dans les lymphocytes T CD4 + mémoires. Chez les individus traités avec les antirétroviraux, les lymphocytes T CD4 + s’étant développés clonalement représentent au moins 50 à 60% des cellules infectées de manière persistante, hébergeant un VIH compétent pour la réplication. Ceci suggère que la prolifération de ces cellules, qui est provoquée par la présence d'antigènes, contribue de manière essentielle au maintien du réservoir viral (cellules permettant la persistance du virus). La multiplication et le maintien des lymphocytes T mémoires nécessitent des interactions directes et continuelles entre les cellules présentatrices d'antigène (APC) et les lymphocytes T CD4 + dans les organes lymphoïdes. Les APC, telles que les cellules dendritiques et les macrophages, présentent les antigènes dans le contexte des molécules du complexe majeur d'histocompatibilité de classe II et, conjointement avec des signaux de co-stimulation solubles ou liés à la membrane, « instruisent » et soutiennent la survie à long terme les lymphocytes CD4 + spécifiques à l'antigène. Chez l’humain, la création d'une mémoire immunologique à long terme, par infection naturelle ou vaccination, est limitée à des antigènes uniques. Par conséquent, il est raisonnable de supposer que des réservoirs du VIH sont également établis et maintenus dans des cellules T CD4 + présentant des spécificités antigéniques uniques. Dans le thème 1, les chercheurs de CanCURE examineront si des antigènes spécifiques sont capables de conduire les cellules T CD4 + vers des profils métaboliques/transcriptionnels uniques pouvant être exploités par le VIH pour favoriser l’établissement et la persistance de réservoirs viraux.
Thème 2
Codirigeants: P. Ancuta & J. Estaquier
Participants: C. Power, M-A. Jenabian, C. Costiniuk, E.A. Cohen, E. Haddad, M.J. Tremblay, N. Chomont, J-P. Routy, J. Angel, M. Ostrowski; M.A. Jenabian, R. Rosenes, S. Margolese.
Collaborateurs: J. Estes, F. Ginhoux, R. Bendayan, T. Mesplède, F. Villinger
La persistance du VIH dans les macrophages dépend de leur permissivité à l’infection par le VIH, ainsi que de leur capacité de survie à long terme. Un changement de paradigme a eu lieu très récemment concernant l'ontogenèse (l'origine et le développement) des macrophages tissulaires. Pendant de nombreuses années, il était connu que les macrophages du cerveau (microglies), du foie (cellules de Kuppfer) et des poumons (macrophages alvéolaires) étaient dérivés de précurseurs embryonnaires/fœtaux locaux et étaient des macrophages tissulaires à vie très longue. En revanche, les macrophages des autres tissus étant dérivés de monocytes sanguins provenant de précurseurs de la moelle osseuse, suite à la naissance de l’individu, étaient considérés comme des macrophages à courte vie, dont la population était renouvellée rapidement, en particulier dans l'intestin. Cependant, de récents travaux ont identifié la présence de macrophages tissulaires, auto-renouvelés et à vie longue, dans plusieurs tissus profonds, y compris dans les artères et le cœur, et très récemment dans l'intestin. Ces macrophages tissulaires auto-régénérateurs à longue durée de vie proviennent de précurseurs de cellules souches locaux du sac vitellin ou du foie fœtal pendant l'embryogenèse, ainsi que des monocytes présents à la naissance de l’individu. De plus, ils présentent une capacité d'auto-renouvèlement indépendante des cellules précurseures dans la moelle osseuse de l’individu naissant. Comme les macrophages des poumons et du cerveau, les voies de signalisation CX3CL1/FKN, ainsi que les récepteurs hyaluronans (CD44, LYVE-1) sont essentiels pour la survie de ces macrophages tissulaires. Ces progrès ont conduit à une nouvelle nomenclature de cellules myéloïdes basée tout d’abord sur l’ontogenèse, puis sur la localisation tissulaire. Après la naissance, les macrophages tissulaires qui vivent longtemps et qui se renouvellent indépendamment, coexistent avec des macrophages à vie courte dans les tissus profonds. La proportion entre ces deux bassins varie de l'homéostasie aux lésions tissulaires et au cours du vieillissement. Étant donné que les caractéristiques de ce nouveau groupe de macrophages tissulaires ont été surtout déterminées dans le modèle murin, très peu est connu sur leurs rôles chez l’humain. Dans le thème 2, les chercheurs de CanCURE examineront l’équilibre entre les populations de macrophages tissulaires, auto-renouvelés et à longévité importante, par rapport aux macrophages à vie brève, dans les tissus profonds chez les humains, les souris humanisées et les primates, et exploreront leur contribution à la persistance du réservoir viral.
Plateforme de modèles animaux
Codirigeants: Jérôme Estaquier & Élie Haddad
La plateforme de modèles animaux développe des modèles animaux pour tester des approches thérapeutiques contre les réservoirs de virus (VR) persistants du VIH pendant le traitement antirétroviral (ART). L’équipe tire parti des modèles de primates non humains infectés par le virus de l’immunodéficience simienne (SIV), ainsi que celui des souris humanisées infectées par le VIH.
La plateforme de modèles animaux est située à l’Université Laval, et est dirigée par le Dr Estaquier. Elle continuera à fournir l'expertise et les outils d'analyse des dynamiques immunitaire et virale chez les macaques rhésus, ainsi que des analyses moléculaires et virologiques pour la détection des réservoirs de SIV. L'objectif de cette plateforme est de fournir les soins et des logements de qualité pour les animaux, l'exécution de protocoles d'étude et des procédures expérimentales, la collecte et le traitement d'échantillons, la réalisation d'autopsies et l'acquisition de données cliniques et pathologiques nécessaires pour atteindre les objectifs du programme CanCURE.
Le centre responsable pour le développement des souris humanisées est localisé au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine à Montréal et est dirigé par le Dr Haddad. Il développe des modèles de souris humanisées « NOD scid gamma (NSG) » et « bone marrow, liver, thymus (BLT) » pour les projets nécessitant les infections VIH in vivo.
Plateforme clinique
Codirigeants: Jonathan Angel & Jean-Pierre Routy
Cette plateforme coordonne étroitement ses efforts avec le Réseau canadien d'essais cliniques sur le VIH (CTN) des IRSC, ce qui facilite l'élaboration, l'exécution et la diffusion d'essais cliniques de traitement du VIH au Canada. En tant que co-responsables de la plateforme du CTN sur les vaccins et immunothérapies, les Drs Routy et Angel supervisent les activités du CTN en rapport à la recherche sur la guérison. Les fonds CTN pour les études pilotes ont été une ressource importante pour un nombre d’études cliniques actuelles et futures. De plus, le CTN est bien établi pour s’assurer du succès des études cliniques présentées dans le thème 3, particulièrement au niveau des ressources et d’infrastructure. La plateforme clinique joue aussi un rôle central pour l’accès aux cellules / tissus provenant de leucaphérèses, de biopsies du côlon, de biopsies de ganglions lymphatiques, de LBA ainsi que de l'accès aux tissus testiculaires. L’établissement récent de protocoles à l’OHRI de l’Université de Toronto et au Centre universitaire de santé McGill (responsable de l’Initiative de bio-banque d’autopsie de McGill, Dre Cecilia Costiniuk) pour la recherche sur les tissus / cellules obtenus lors de l’autopsie d’individus VIH+ traités consentants sous traitement antirétroviral permettra à la plateforme de rendre disponible aux chercheurs de précieux échantillons tissulaires pour soutenir les études de CanCURE 2.0.
Thème 3
Codirigeants: J. Angel & J-P Routy
Participants: M. Ostrowski, A. Kumar, E.A. Cohen, E. Haddad, B. Cameron, J. Estaquier, P. Ancuta, N. Chomont, L. Falcone, C. Costiniuk, R. Rosenes, S. Margolese.
Collaborateurs: M.-A. Langlois, R. Korneluk, E. Lacasse, R. Bendayan
Tel que mentionné précédemment dans les thèmes 1 et 2, il existe très peu de données sur les effets des stratégies actuelles pour réduire ou éliminer les réservoirs viraux dans les cellules myéloïdes infectées de façon persistante par le VIH, ou si éliminer le réservoir viral dans les macrophages tissulaires à vie longue, versus les lymphocytes T CD4 + mémoires, requièrent des approches thérapeutiques différentes. Dans le thème 3, les chercheurs de CanCURE continueront à développer des stratégies thérapeutiques issues de CanCURE 1.0 et basées sur les découvertes attendues des thèmes 1 et 2, ciblant les réservoirs viraux à la fois dans les cellules T et les cellules myéloïdes, dans le but de développer des stratégies plus efficaces pour le traitement contre le VIH.
Dans le cadre de la poursuite des travaux précliniques de CanCURE 1.0, les docteurs Angel et Cohen travailleront pour élaborer des stratégies qui ciblent le réservoir du VIH avec des virus oncolytiques à base de rhabdovirus qui infectent et détruisent de manière sélective les cellules défectives en signalisation de l’interféron. Les Drs Ostrowski et Costiniuk évalueront l'impact d’une stratégie bloquant la protéine Nef du VIH-1 sur l'élimination des macrophages humains (infectés de manière productive ou latente) par des cellules T autologues reconnaissant spécifiquement le VIH. Les Drs Kumar et Cohen évalueront l’impact de « molécules mimétiques » de la protéine Smac (SM), inhibiteurs des protéines IAP, dans la destruction sélective des macrophages humains infectés par le VIH et ainsi que des lymphocytes T CD4 + infectés de manière latente.
Dans le cadre d’essais cliniques dérivés de CanCURE 1.0 ainsi que des thèmes 1 et 2 (objectif 3.2), les Drs Ancuta, Routy, Angel, Chomont et Falcone étudieront l’effet de la metformine sur la taille du réservoir du VIH ainsi que sur la dysbiose chez les patients séropositifs non diabétiques sous thérapie antirétrovirale (étude dénommée LILAC). Les docteurs Cameron, Angel, Ancuta et Chomont étudieront les effets du védolizumab au cours de traitements antirétroviraux avec/sans interruption (ATI, cinétique de la virémie de rebond dans l’essai HAVARTI à doses variables). Les Drs Angel, Cameron et Estaquier collaboreront à une étude de phase I d'un inhibiteur de la caspase, le Q-VD, chez des adultes infectés par le VIH sous traitement antirétroviral. Enfin, les Drs Routy, Ancuta, Chomont et Falcone travailleront sur les effets prébiotiques du Camu Camu sur le lipopolysaccharide en circulation, l'activation immunitaire et la taille du réservoir de VIH chez les participants traités avec des antirétroviraux.